-Les Etudiants délogés n’ont aucun endroit où aller
Depuis la mort suspect de l’étudiant Agui Mars Aubin Deagoué, alias « Général Sorcier », membre influent de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI) et présenté comme un rival de Kambou Sié, SG de ladite fédération, tout porte à croire que le gouvernement ivoirien n’attendait que ce genre d’occasion pour régler ses comptes avec cette organisation.
Samedi 05 octobre 2024, quelques heures après les arrestations de Kambou Sié, SG de la FESCI et plusieurs autres membres de la Fédération à la suite du meurtre de
Agui Mars Aubin Deagoué, la police nationale a effectué une descente sur le campus de Cocody.
Les forces de l’ordre y ont procédé manu militari au délogement de plusieurs étudiants considérés comme pro-FESCI. De nombreux autres étudiants ont été également expulsés sous le prétexte qu’ils auraient été logés par cette organisation, aujourd’hui considérée comme criminelle par le gouvernement ivoirien.
Casqués et armés jusqu’aux dents, les unités de police ont procédé par la force à l’expulsion de ces « pestiférés ». Cette intervention fait suite à un communiqué du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, qui avait demandé aux occupants de libérer les lieux volontairement.
La question est la suivante, avec quelles preuves les forces de l’ordre ont-elles procédé à ces expulsions ? La liste des personnes à dégager a-t-elle été donnée par le Centre régional des œuvres universitaires d’Abidjan (CROU A1), en principe chargé du logement des étudiants ? Et si cet organe a failli dans sa mission, ne serait-il pas grand temps aussi d’entreprendre sa réforme ?
Quoi qu’il en soit, des agents du CROU A1 accompagnaient les forces de police, comme pour se dédouaner de leur inefficacité pendant des décennies. La police quant à elle a procédé à une évacuation musclée ne laissant pas le temps à la plupart d’emporter quelques affaires.
Il faut dire que malgré l’avertissement du ministère, certains étudiants ont refusé de quitter les chambres, obligeant les autorités à passer à l’action. Selon plusieurs témoins, ils n’ont aucun endroit où aller.
Nous le relations dans une de nos précédentes éditions, il est certain que ces étudiants expulsés par la force des choses iront squatter des amphithéâtres, des bâtiments en construction ou même trouveront le moyen de revenir dans les chambres d’où on les a chassés.
Autre fait, le siège en pleine construction de la FESCI a été détruit par les autorités. Comme si cet espace ne pouvait servir à autre chose de plus important.
Toutes ces mesures ne nous auraient en fait choqués si elles étaient effectuées dans un cadre plus légaliste. En effet, les enquêtes sur le meurtre de l’étudiant Agui Mars Aubin Deagoué ne sont pas encore terminées que le gouvernement l’impute à la FESCI et son Secrétaire général, alors que selon la loi ces derniers continuent de bénéficier de la présomption d’innocence jusqu’à ce que leur culpabilité soit établie. Ce qui n’est pas encore le cas puisque le Procureur de la République chargé de l’affaire ne nous a toujours pas donné les conclusions de l’enquête afin d’officiellement accuser les prévenus.
Ainsi, toutes les mesures prises par le gouvernement ressemblent à s’y méprendre à un règlement de compte vis-à-vis d’une structure dont on attendait la première occasion sérieuse pour la décapiter.
LE MOMENT AUSSI D’APPORTER DES MESURES QUALITATIVES POUR HAUSSER LE NIVEAU DE NOTRE ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR
Nous ne nous réjouirons jamais du meurtre de quelqu’un, mais nous constatons bien que la mort de Agui Mars est une aubaine pour les autorités ivoiriennes. Ces dernières avaient là, le prétexte parfait pour casser du syndicat en milieu estudiantin et scolaire, chasser les « illégaux » des cités universitaires et peut-être redonner un peu d’autorité au CROU-A1.
Cette situation serait peut-être aussi le moment d’apporter les améliorations nécessaires pour faire de nos universités publiques des références en la matière. Car, il faut dire qu’au niveau des recherches scientifiques, de productions, nos universités publiques brillent par leur absence.
Le gouvernement devrait aussi profiter de cette tragédie pour définitivement régler la question des salaires, des primes et autres intéressements de nos enseignants-chercheurs. Les étudiants subissent aussi les effets négatifs de leurs trop nombreuses grèves.
Ce serait aussi l’occasion pour le gouvernement de solutionner le manque criard de cités universitaires. Il faut dire que depuis feu le Président Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire n’a plus construit de résidences universitaires. Plus d’un demi-siècle, cela commence quand même à dater.
Gérer la situation des bourses, de la restauration, du manque d’enseignants, des amphis bondés…bref, si le gouvernement ne veut pas montrer que seul casser du FESCI le préoccupait à l’université, c’est bien le moment aussi de prendre des mesures correctives pour notre enseignement supérieur qui a perdu de son lustre. Car avant, l’université publique a produit des grands maitres dans chaque faculté.
En droit on cite les Degny Ségui, Francis Wodié, Yao N’dré, Jacqueline Oble. En sociologie, on avait les Niangoran Bouah, Mémel Foté Harris, et tant d’autres. Nous ne disons pas que ceux qui sont encore là n’ont pas les qualités intellectuelles requises pour rayonner. Non du tout, mais l’environnement dans lequel ils baignent ou travaille n’est plus idéal pour cela. Et le formidable travail qu’ils abattent au quotidien n’est pas connu du grand public à part quelques personnes initiées.
Détruire les germes de la médiocrité dans nos universités publiques c’est bien, mais bâtir les fondations de leurs apports pérennes au développement économique et social de notre pays, c’est encore mieux. En bon entendeur…
Dodo Wlapkè
Photo légendée : Des policiers en train d’expulser les étudiants indésirables des chambres universitaires sur le campus de Cocody.