L’ONG CIVIS-CI a organisé le 12 novembre 2024 au CERAO situé à Cocody-II Plateaux, la 3e édition de sa conférence annuelle de recevabilité. « Explorer les défis à l’application des recommandations de la Cour des Comptes », tel était le thème central autour duquel se sont tenus les travaux.
Une présentation a particulièrement retenu notre attention, celle de Dr Kouamé Christophe, président du comité exécutif de CIVIS. « Les recommandations et décisions des rapports de la Cour des Comptes », c’était le thème de sa présentation qui a surtout consisté à démontrer que malgré les interpellations de cette juridiction en 2022, le reversement effectif par les structures concessionnaires que sont l’ONECI (Office national de l’état civil et de l’identification en Côte d’Ivoire) et Snedai (structure qui a la concession de la fabrication des passeports) des droits perçus sur les cartes de séjour ou de résidence, des cartes nationales d’identité et des passeports établis dans le pays n’ont toujours pas été reversés sur le compte du Trésor.
1078 milliards de FCFA se volatilisent chaque année dans le budget
Pour démontrer la gabegie ambiante au niveau du budget, Dr Kouamé a souligné que ce environ 1078 milliards de nos francs qui sont dépassés chaque année en Côte d’Ivoire. « Chaque année, c’est un plafond de 1% qui est prévu par la loi des finances dans le dépassement budgétaire. Mais à la pratique, ce sont 12,8% qui ont été dépassés en 2020. Ce qui correspond à 1.078 milliards de FCFA par le ministère du Budget », rapport Dr Kouamé Christophe.
Selon lui, ces 12,8% enlèvent de la poche des contribuables que nous somme, 1078 milliards de FCFA qui se répercutent sur la vie chère. « Ici, nous ne sommes pas dans le vol, mais plutôt dans la mauvaise gouvernance. Si par an, là où le législateur a plafonné les déperditions à 1%, nous arrivons à 12,8%, c’est qu’il y a de grands efforts à fournir », précise-t-il.
Il a indiqué que la Cour des Comptes a deux (02) types de recommandations : elle rappelle aux gestionnaires des finances publiques le droit applicable à la gestion des finances publiques et rappelle aux gestionnaires des finances publiques, les performances dans leur gestion.
Le non reversement des fonds issus de la confection des cartes de séjour, d’identité et des passeports
Selon le CIVIS, dans le nouveau rapport la Cour des Comptes interroge le ministre du Budget et des Finances sur la mise en œuvre des diligences nécessaires pour que les concessionnaires que sont l’ONECI et Snedai aient reversé les droits perçus sur les cartes de séjour et de résidence, sur les cartes d’identité et les titres de passeports établis en Côte d’Ivoire.
« Il s’agissait de savoir si L’ONECI et Snedai ont reversé les fonds qu’ils ont collecté à cet effet », a précisé Dr. Kouamé. Il a indiqué que la Cour des Comptes a affirmé que dans les comptes publics rendus par ces concessionnaires, « c’était le montant de 792.000 FCFA par an qui avait été reversé ». Selon Kouamé Christophe, si un passeport s’établit à 40.000 FCFA et de 08h à 16h, on a 10 tranches horaires.
Si Snedai ne prend que 25 personnes par tranche horaire, cela revient à s’occuper de 250 personnes par jours. Chacune d’elle s’acquittant de la somme de 40.000 FCFA, cela donne par jour la somme de 10 millions FCFA. Le concessionnaire travaille 5 jours par semaine, cela revient donc à 50 millions par semaine. Lorsqu’on multiplie cette somme par 4 qui correspond au nombre de semaines dans le mois, on trouve la somme de 200 millions par mois. Si on multiplie cette somme par mois par ne serait-ce que 10, on trouve la somme de 2 milliards chaque 10 mois. « Dans le compte, au lieu ne serait-ce que 2 milliards de FCFA, on a retrouvé 740.000 FCFA », a-t-il relevé.
Pourtant, ce sont bien plus de 250 personnes qui s’établissent un passeport par jour sur l’ensemble du territoire ivoirien. Donc, des chiffres beaucoup plus importants dans le recouvrement de fonds pour l’établissement des documents cités plus haut.
Demande faite au parquet général sur d’éventuelles poursuites pénales et pécuniaires des concessionnaire
Le CIVIS a interpellé l’Assemblée Nationale sur sa prérogative de contrôle de l’exécution du budget de l’Etat des années 2022, 2023 et 2024. « Est-ce que le Parlement a fait le travail pour lequel nous avons voté les députés ? Sinon, ce Parlement aurait du faire depuis, des rapports sur l’exécution budgétaire lors de ces exercices budgétaires », a expliqué Dr. Kouamé.
Il a affirmé que le procureur auprès de la Cour des Comptes était libre de poursuivre ou pas ceux qu’il juge coupables de malversations financières. « Le procureur tient la liste des arrêts et des décisions prononcées par la Cour des Comptes. Nous ne demandons au parquet général, les informations relatives aux arrêts, aux décisions, aux sanctions prononcées par la Cour des Comptes et transmis au parquet général pour les exercices 2020, 2021 et 2022 », a-t-il révélé.
Il a assuré que ce sont des procédures qui ont déjà eu lieu dans notre pays. « Une institution étatique avait été coincée et la Cour des Comptes a demandé à son DG et au DGA de rembourser les sommes qui avaient disparu du budget. Il existe donc des sanctions disponibles. Nous demandons à l’Etat, des condamnations pécuniaires prononcées par la Cour des Comptes qui ont fait l’objet de recoupements par le Trésor public au cours des années allant de 2020 à 2023. La loi sur l’accès à l’information nous donne ce droit et l’article 15 de la Déclaration des Droits de l’Homme nous le permet et dans le principe, les archives de 2020 à 2023 sont sensés être disponibles pour que nous voyons si dans les autres systèmes de gestion des décisions, chacun fait ce qu’il a à faire », a demandé Dr. Kouamé Christophe.
Le président de la Cour des Comptes au cours des 6 mois suivant son rapport se doit d’informer le Président de la République. Mais pendant ce temps, la loi autorise tout citoyen, tout parti politique, tout média à avoir toutes les informations sur le sujet s’il le demande.
Quand l’affaire des cartes d’identité et des passeports a éclaté, le ministre du Budget et des Finances, M. Adama Coulibaly et le ministre de l’Intérieur, M. Diomandé Vagondo ont produit un communiqué dans lequel ils ont indiqué qu’il y avait deux (02) comptes séquestres dans lesquels l’argent serait.
« Je vous invite chacun à son niveau à aller sur le compte Facebook de l’Assemblée Nationale. Le mardi 05 novembre 2024, le président de la Cour des Comptes qui est plus autorisé que nous a répondu que le compte n’a pas encore été alimenté. En tout cas, à son niveau, lui président de la Cour des Comptes, il n’a pas encore vu l’argent séquestré », a révélé le président du CIVIS.
Ainsi, au niveau des recommandations relatives aux performances de gestion, ce sont des éléments qui sont versés à la discussion.
Il a rappelé que l’Article 88 de la loi 2013-660 donne droit aux organisations de la Société civile de saisir le procureur. Et cette fois-ci le législateur ne donne pas la possibilité au procureur de ne rien faire. Il oblige le procureur à saisir un juge d’instruction. « De même il oblige le procureur a nous répondre avec une motivation s’il ne veut pas engager des poursuites », a-t-il déclaré.
La Cour des Comptes a publié en décembre 2023, ses deux (2) rapports définitifs sur l’exécution de la loi de finances
Il faut rappeler que la Cour des Comptes a publié en décembre 2023, ses deux (2) rapports définitifs sur l’exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget de l’année 2022 et sur l’audit de performance des programmes de l’année 2022 (articles 50, 86, 84 de la LOLF1 et les articles 148 et 149 de la LOCC2).
Pour rappel, l’année 2020 a consacré la généralisation de la gestion des finances publiques en mode budget-programmes. Ce mode de gestion, axé sur les résultats, met l’efficacité au cœur de l’action publique et renforce la redevabilité des gestionnaires des ressources de l’État. En outre, pour responsabiliser les administrations publiques, depuis 2020, à chaque programme sont associés des objectifs précis, définis en fonction des finalités d’intérêt général et des résultats attendus (article 15 de la LOLF).
Ces objectifs sont de trois types pour chaque programme : un objectif d’efficience de gestion, un objectif de qualité de service et un objectif d’efficacité socio-économique de développement. L’objectif général, poursuivi par l’État à travers ce nouveau mode de gestion des finances publiques, est d’une part l’amélioration de la qualité de la gestion de l’argent public et d’autre part l’atteinte des objectifs socio-économiques de développement.
L’objectif poursuivi par les Organisations de la Société Civile (OSC) à travers cette conférence de redevabilité est de contribuer à une meilleure prise en compte des préconisations (recommandations et décisions) de la Cour des comptes. Dans un contexte de gestion axée sur les résultats, les citoyens, tout comme les OSC, attendent de la Cour des comptes qu’elle démontre l’efficacité de ses travaux.
La Cour des comptes, étant soumise au Code de transparence dans la gestion des finances publiques, les citoyens souhaitent comprendre comment les recommandations et les décisions de la Cour des Comptes sont appliquées concrètement et quels bénéfices en découlent pour la collectivité.
Olivier Guédé
Encadré
Voici la version de l’ONECI et Snedai sur cette affaire
Dans le souci d’équilibrer l’information, nous avons tenu à avoir l’avis de l’ONECI et Snedai, concessionnaires indexés par l’ONG CIVIS. Il faut dire que malgré tous nos efforts, nous n’avons pu obtenir la version de Snedai. Au niveau de l’ONECI, les services compétentes nous ont indiqués que la note des ministres (Budget ; et Sécurité) qui a été publiée a clairement dit que l’ONECI n’est pas concernée par le reversement du fait du contrat PPP et de son statut d’agence d’exécution.
Pour que nos lecteurs se fassent leur opinion, voici donc le communiqué conjoint des ministres : « Suite à la publication du rapport de la Cour des Comptes sur l’état d’exécution du budget 2022, le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et le Ministère des Finances et du Budget tiennent à apporter les précisions ci-après, sur le recouvrement effectif de la part fiscale prévue au titre des conventions passeport, visa et carte nationale d’identité.
Concernant les passeports et visas biométriques, il est à noter que l’Etat de Côte d’Ivoire a conclu, le 10 décembre 2007, une convention avec SNEDAI pour la production du passeport ordinaire biométrique.
Le régime fiscal et les droits à acquitter pour l’établissement du passeport ordinaire sont fixés par l’ordonnance n°2009-225 du 24 juillet 2009 et ses textes d’application. Les droits de passeport s’élèvent à 40 000 FCFA dont 15 000 FCFA représentant la part fiscale due aux impôts.
Dans le cadre de la mise en œuvre de la convention passeport, un compte dédié a été ouvert dans une banque. Ce compte est régulièrement alimenté pour le recouvrement de la part fiscale revenant à l’Etat.
Par ailleurs, la somme de 792.000 FCFA mentionnée dans le rapport de la Cour des Comptes, représente uniquement les droits de demande en ligne, de visa d’entrée en Côte d’Ivoire, acquittés par des requérants à leur arrivée à l’aéroport International Félix HOUPHOUËT-BOIGNY d’Abidjan.
S’agissant de la carte nationale d’identité, l’Office National de l’Etat Civil et de l’Identification (ONECI) est chargé, depuis sa création en 2019, de la délivrance de la carte d’identité.
A cet égard, le montant de cinq mille (5 000) FCFA exigé pour l’obtention de la carte d’identité est affecté aux frais de production et aux charges de fonctionnement de l’ONECI.
Les Comités en charge du suivi des conventions passeport, visa et carte nationale d’identité veillent à la bonne application des dispositions contractuelles. Le Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité et le Ministère des Finances et du Budget invitent toute personne désireuse d’obtenir des informations complémentaires à se rapprocher de leurs services compétents ».
Fait à Abidjan, le 4 janvier 2024
Le Ministre des Finances
et du Budget
Adama COULIBALY
Le Ministre de l’Intérieur
et de la Sécurité
DIOMANDE Vagondo
Général de Corps d’Armé
OG