Jean-Marie Bockel est l’envoyé personnel du Président français Emmanuel Macron auprès des quatre (04) pays africains que sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Gabon et le Tchad, pays concernés par la reconfiguration du dispositif militaire français. Il est chargé de négocier le nouveau partenariat de défense avec ses pays et in fine, la présence des bases militaires françaises. Dans cette interview accordée à la chaîne télé France 24, il parle du futur du dispositif militaire français dans ces 4 pays.
–Vous êtes ancien Secrétaire d’Etat notamment à la coopération. Alors le point de départ, c’est que la France a été poussée dehors de trois (03) pays sahéliens, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. C’est un échec pour la France, il faut le reconnaître. Suite à ça, le Président Macron a décidé une reconfiguration du dispositif militaire. Alors, est-ce que vous êtes en charge d’organiser cette retraite d’Afrique pour masquer le fait qu’on ne veut plus de la France peut-être partout sur le continent ?
D’abord un échec politique, sûrement. Un échec tactique et militaire, non. Et même d’un point de vue politique, concernant les troupes, dans les 3 pays que vous avez cité, s’il n’y avait pas eu l’opération Barkhane, il n’y aurait peut-être plus de pays aujourd’hui. Donc, il faut faire la part des choses. Mais, c’est un échec quand-même sinon nous ne serions pas parti.
La France ne veut rien masquer et ma mission, c’est d’abord de continuer d’approfondir un dialogue avec les quatre (04) pays du périmètre. Pays que vous avez cité tout à l’heure à commencer par les chefs d’Etats, mais également les Sociétés civiles pour envisager- évidemment il ne faut jamais avancer masqué- une réduction de l’empreinte permanente au profit d’un partenariat de défense qui soit complètement renouvelé, ce qui ne veut pas dire que, sauf si les pays le souhaitent, de notre fait un désengagement.
Le détail des discussions que j’ai pu déjà avoir avec 3 pays, c’est d’un côté un sentiment partagé dans le cadre de cette co-construction, que ce n’est pas le nombre de soldats qui compte dans le monde qui vient, c’est la qualité du partenariat en réponse à un certain nombre de questions de ces pays pour conforter la dimension souveraine de leurs outils de défense, notamment par rapport aux nouvelles menaces djihadistes et autres. Nous sommes dans cet état d’esprit qui est celui d’un partenariat.
Il y a eu un Conseil de Défense à l’Élysée sur ce sujet le 23 octobre dernier. Vous avez remis au chef de l’État un pré-rapport. Le contenu n’est pas public et ne sera pas rendu public. Est-ce que dans ce rapport, il y a l’hypothèse de la fermeture de bases militaires françaises dans ces pays ? Est-ce que c’est sur la table, oui ou non ?
Dans les contacts qu’il peut y avoir au niveau des chefs d’États, aucun sujet n’est tabou. Mais dans le travail que j’ai effectué à la demande du Président de la République avec les 3 pays où je me suis déjà rendu, le Sénégal ça n’a pas pu encore se faire puisque le pays est encore dans une séquence électorale. Et d’ailleurs, c’est la première chose qui m’a été dite. Il n’y a pas de demande de départ.
Sur 2500 soldats au 43ème BIMA à Abidjan, il ne resterait plus que 600
Il y a un accord pour faire évoluer le dispositif. En fait, le cœur de mon rapport qui est certes classifié a été fait à la demande des pays partenaires de maintenir un dispositif socle qui peut évoluer, mais qui permet de déployer un certain nombre de partenariats existants. Des discussions sur les attentes des pays concernés en matière d’équipements- aviation, marine, armée de terre- sur lesquels nous sommes déjà des partenaires et sur lesquels nous pourrions être en appui pour leur modernisation. C’est cela le sujet, aujourd’hui.
Dans aucun des 3 pays en attendant le Sénégal, les chefs d’États ne vous ont demandé de fermer de bases militaires françaises ? Il n’y aura pas de fermeture de bases militaires françaises, on est bien d’accord ?
En tout cas, c’est l’état d’esprit de nos partenaires et plusieurs d’entre eux nous ont dit « on a bien compris le message ». Ce qui compte ce n’est pas demain le nombre de soldats qui seront dans ce dispositif socle, ce qui compte pour eux, disent-ils, c’est la qualité du partenariat que nous allons bâtir ensemble pour le monde qui vient.
Les effectifs ça compte quand même. On partait de 2500 selon les informations qui ont été distillées dans la presse, pour les bases militaires de Dakar, d’Abidjan et de Libreville. Et il n’y aurait plus qu’une centaine de militaires français contre 350 à Dakar et Libreville en ce moment, pour 600 ou 700 à Abidjan. Donc, c’est quand-même une sacrée réduction s’il reste qu’une centaine d’hommes…
Alors, deux remarques. Premièrement, la réduction progressive et négociée du nombre permanent de soldats français a déjà commencé depuis longtemps. Cela s’est poursuivi avec plan mis en œuvre à partir d’avril 2023 par le ministre de la Défense Sébastien Lecornu et va se poursuivre avec la mise en œuvre de ses propositions. Étant entendu que je n’ai pas vocation à évoquer des chiffres, il y a eu avant même que ma mission ne débute, des fuites sur des chiffres…
Ces chiffres sont-ils fantaisistes ?
Je ne dis pas cela. Je dis qu’on a pas encore arrêté, dans les discussions qui sont très détaillées et très approfondies, le nombre de soldats français qui doit demeurer dans des pays aux demandes très différentes. Le Tchad n’est pas le Gabon, la Côte d’Ivoire n’est pas le Sénégal. Chaque pays a ses spécificités. Là, il y a une base, là, il peut y avoir 2 ou 3. Donc, c’est à l’issue de ces discussions avec le détail des missions sur lequel nous serions d’accord, que le dispositif socle se fera. Ce dispositif sera évolutif, parfois moins, parfois plus. Je ne rentre pas et je n’ai pas vocation à entrer dans une guerre des chiffres. Car dès qu’un chiffre est donné, il est très vite dépassé parce que, le processus se poursuit.
Et naturellement quand on parle de dispositif socle, ça veut néanmoins dire qu’on n’a pas vocation dans ce contexte là, à descendre en deçà de ce qui est nécessaire. Sinon évidemment ce n’est plus une présence. J’ajoute d’ailleurs que sur certaines de ces bases militaires françaises, en Côte d’Ivoire, au Gabon, on observe la montée en puissance avec le drapeau du pays . Ainsi, on observe dans un contexte resserré mais souhaité, la présence française mais il y a déjà un processus d’allègement. Par exemple le camp Charles De Gaulle qui est entré dans un processus de ‘’gabonisation’’ , mais les Français restent présent.
Au Tchad, vous avez dit que c’est un pays particulier. Une géographie et sans doute des pays frontaliers où il y a des dangers. Il y a environ 1000 soldats français dans 3 bases, N’Djamena, Faya-Largeau au Nord et Abéché à l’Est. On a aussi évoqué une réduction à environ un tiers. Vous ne voulez pas donner de chiffres, mais est-ce qu’on peut assurer que ces 3 bases militaires françaises vont rester des bases militaires françaises ou est-ce qu’on va réduire le nombre de soldats français ?
Je n’ai pas vocation à affirmer quoi que se soit puisque ce sera la finalisation de discussions qui ont déjà commencé sur la base de nos propositions, entre les 2 pays, entre les 2 chefs d’États. Le Tchad est un pays qui a une dimension régionale notamment de par les menaces auxquelles il est confronté. Menaces divers, avec au Nord le Soudan où se trouve Abéché. La question d’une ou plusieurs bases est naturellement sur la table. Nous avons, par rapport à cet aspect assez particulier, des propositions qui bien sûr se font avec l’état-major, le ministre de la Défense, les collaborateurs du Président Macron, le Président lui-même qui m’a reçu début juillet pour un point d’étape. Moi-même, je peux avoir une opinion sur la question, mais je n’ai pas vocation à dire ce qu’il en sera à l’arrivée.
Il sera plus logique d’avoir des bases un peu partout au Tchad vue la dimension régionale…
Bon, des bases partout, je vous laisse l’expression…
Les 3 bases je voulais dire…
Nous verrons cela en temps voulu.
Sur le Sénégal vous dites que c’est le contexte électoral, il y a des élections le 17 novembre prochain mais ça fait déjà quand même 6 mois que nous êtes sur place. Il y a aussi ce qu’a dit le Premier ministre Ousmane Sonko, l’homme fort du Sénégal. Il a dit : « la présence durable de bases militaires étrangères est incompatible avec la souveraineté du Sénégal ». Vous avez dit que dans les 3 pays où vous vous rendu, on ne veut pas selon leur dirigeant, fermer les bases militaires françaises mais est-ce que la fermeture de la base militaire de Dakar, elle est sur la table puisque les Sénégalais ne vous ont toujours pas accueillir et que vous n’avez pas vraiment eu d’échanges à ce sujet ?
Le Président Macron a reçu le Président Bassirou Faye au mois de juin. J’étais présent à cette à cette rencontre avec également un certain nombre de ministres sénégalais et français. A cette rencontre, le Président français a posé clairement la question et la réponse a été « laissez-nous le temps de la réflexion ». C’est ce temps que nous vivons actuellement. Vous citez le Premier ministre sénégalais, « présence durable », cela veut dire qu’il peut y avoir dans la durée, beaucoup de perspectives. Nous, notre état d’esprit est basé sur les discussions qui auront lieu, le moment venu.
Quand ce sera le moment, j’accompagnerai les ministres qui se rendront au Sénégal dès que cela serait organisé. En ce moment, nous y verrons plus clair. Mais je pense encore une fois qu’on n’est pas dans l’état d’esprit, d’une pression française pour garder l’ancien dispositif. On est vraiment dans l’approche de discuter de partenariats dans l’intérêt de chacun, dans l’intérêt d’un soutien au renforcement des capacités souveraines déjà existantes d’un pays partenaire important comme le Sénégal. Une chose sont les déclarations à un moment donné, une autre chose seront les discussions qui vont s’engager je l’espère et j’en suis sûr dans le meilleur esprit.
Source France 24
Photo légendée : Jean-Marie Bockel.