Dans un pays comme le nôtre, où pour se rendre intéressants aux yeux de l’opinion, les gens se sentent obligés d’écumer chaque jours les grins à la recherche de gbèrè et de dôhi dans le simple but de salir, une affaire comme celle de la crise de la FESCI ne peut qu’être la bienvenue. Ainsi, depuis le début de l’affaire, sont-ils nombreux qui se sont découvert des talents d’analystes, d’experts et de sachants qui n’hésitent pas à accorder des interviews, à faire des podcasts, des vidéos sur les réseaux sociaux et parcourir les médias pour accomplir ce qu’ils savent faire le plus au monde : dire du n’importe quoi pour accuser et salir. Malheureusement pour le Ministre Diawara, il semble le principal visé par ces tirs groupés. Mais ces accusations sont-elles fondées ? Qu’en est-il exactement ? Quelle est la part du ministre Diawara dans la crise de la FESCI ?
1- D’UNE MISE EN CONTEXTE ESSENTIELLE
Professeur Bah Henri a défini brillamment la FESCI sur le plateau de NCI 360 le 6 octobre dernier : « La FESCI est une organisation née en 1990, au moment du multipartisme avec tout ce que cela peut comporter comme implications (…) En 99, la Côte d’Ivoire connaît son premier coup d’État et un des leaders de la FESCI, ce sont des faits, vient à la télévision et il dit publiquement que la FESCI a atteint son objectif, parce que l’un des objectifs de la FESCI c’était de faire tomber le PDCI (…).
La FESCI est une organisations d’étudiants née dans un courant politique violent et qui s’est nourrie du lait de la politique ». C’est cela la mise en contexte, définir une chose à partir des faits, à partir de l’histoire, de son histoire et non des histoires. Parce que, justement, l’histoire et les histoires, ce n’est pas pareil. Visiblement, comme il se dégage dans cette phénoménologie, la mission de la FESCI, à l’origine, prend deux axes complémentaires : l’axe du moyen terme et l’axe du long terme.
2- L’AXE DU COURT ET DU MOYEN TERMES
À court et à moyen termes, la FESCI devait œuvrer à l’amélioration des conditions de vie et d’études des élèves et étudiants de Côte d’Ivoire. Pour pouvoir s’imposer comme tel, parvenir à cette fin, les leaders de l’organisation estudiantine se devaient de cultiver une certaine excellence tant bien dans les résultats académiques que de la vie pratique.
C’est le temps des Ahipaud Martial, où il fallait se distinguer par le travail, les bons résultats scolaires et académiques, une petite maîtrise de l’art oratoire pour porter et défendre les causes devant les autorités, etc. L’acquisition de toutes ces aptitudes demande une préparation. C’est là que l’intervention du politique (enseignant-politicien) devient décisive. Le « nourrir au lait politique » selon l’expression de Professeur Bah prend ici tout son sens. C’est à l’ombre des maîtres que ces jeunes étudiants qui ont pris conscience de leurs problèmes vont aiguiser leur intelligence dans leur démarche revendicative.
3- L’AXE DU LONG ET DU PLUS LONG TERMES
Toute masse estudiantine constitue une force non négligeable face au pouvoir en place. L’exemple de la fronde estudiantine de mai 68 en France est significatif à ce propos. De Gaulle n’avait pas prévu ce scénario. Cela dit, l’accointance entre projets politiques et revendications estudiantines a vite fait de donner une autre vision, un autre projet à la FESCI qu’est la recherche du pouvoir politique.
Pour parvenir à l’amélioration de leurs conditions de vie et d’études, l’opposition politique est arrivée à faire admettre aux leaders de la FESCI qu’un tel objectif ne peut être atteint que par la chute du pouvoir en place. C’est pour cela qu’à la faveur du coup d’État de 99, un des leaders de la FESCI a pu affirmer à la télévision nationale qu’ils venaient d’atteindre leur objectif. Mais le changement du régime au pouvoir est-il une panacée aux problèmes des étudiants ?
4- LA DÉSILLUSION ET LA DÉTERMINATION
L’opposition politique étant parvenue au pouvoir, l’amélioration des conditions d’études tant attendue n’est pas arrivée. La FESCI n’a pas échappé, elle aussi, à la farine des boulangers. Tant l’espoir était grand, la déception est immense pour la communauté scolaire et estudiantine. Ahmadou Kourouma analyse une situation similaire dans son œuvre Les Soleils des indépendances (indépendance téré, en malinké). Les fescistes, à l’ère de l’exercice du pouvoir à partir de l’an 2000, par l’appareil politique dans lequel ils se reconnaissent, se retrouve dans le personnage de Fama de Kourouma.
Fama a participé à toutes les luttes pour les indépendances. Mais une fois l’indépendance acquise dans son pays, il s’est vu écarté des cercles du pouvoir, les postes électifs lui étaient interdits en raison de son analphabétisme. Ainsi, se retrouvant dans la position de Fama, la FESCI ne va-t-elle pas se laisser faire. Désormais, elle est déterminée à conquérir le pouvoir politique en vue de son exercice, si tel est que ses maîtres n’ont pas été à la hauteur de leurs attentes convenues.
5- LA MARCHE DE LA FESCI VERS LE POUVOIR: RÉBELLION ET GALAXIE PATRIOTIQUE
Après la désillusion avec le changement opéré à la tête du pouvoir politique en Côte d’Ivoire en 2000, l’objectif de la FESCI, désormais, c’est l’annexion du pouvoir et son plein exercice par elle-même. Comment y parvenir ? Elle s’est choisi deux voies dont chacune est dirigée par une antenne : l’antenne de la rébellion affidée de l’opposition, incarnée par Soro Guillaume et celle de la rue, affidée du régime, incarnée par Blé Goudé.
Ces jeunes sont convaincus qu’en étant aussi bien dans l’opposition que dans l’appareil dirigeant, ils s’empareront du pouvoir plus facilement, puisqu’ils sont partout, ils sont omniprésents. Ils prennent, cependant, le soin de se départager la FESCI en deux : la FESCI mère au sud avec Blé Goudé et la FESCI tendance ou CEECI au nord avec Soro. Le CEECI est le Comité des Élèves et Étudiants de Côte d’Ivoire. Mais on sait tous que le rôle d’un comité consiste à régler un problème urgent dans un temps restreint et disparaître ensuite.
Après dix années de dures épreuves, de luttes inlassables pour la conquête, le courant resté au sud a perdu ses plumes avec la dislocation de la galaxie patriotique par la chute du régime de Gbagbo en 2011, avec ses corollaires : fermeture des campus, arrestation plus tard de Blé Goudé. Quant à Soro, il en sort affaibli également en quittant la tête du gouvernement pour le parlement. Il n’aura plus la même influence qu’au moment où il était le chef du gouvernement. Là encore, c’est un fiasco pour la FESCI. Va-t-elle pour autant abandonner son ambition de conquérir le pouvoir ?
6- L’HÉRITAGE DE DIAWARA
Quand arrive la réouverture des universités publiques et les résidences universitaires en 2012, la FESCI rebat le rappel de ses troupes. La question pour elle, c’est comment contrecarrer ce que le ministre Cissé Bacongo a baptisé « le départ nouveau ». Il va falloir agir très vite pour sonder le gué. Le ministre Bacongo n’oubliera pas de sitôt cette journée où les membres de la FESCI l’ont pourchassé sur le campus. Il se confiera plus tard qu’il n’a rien compris de leur attitude hostile.
À la suite de cette altercation, aucune sanction n’a été prise et ce manque de fermeté de la part du gouvernement a marqué la reprise de la marche de la FESCI. Le ministre a pensé régler le problème par un modèle que lui a conseillé le président de l’université Alassane Ouattara, Professeur Lazare Marcellin Poamé. Revenu d’un séjour aux États-Unis, il disait avoir vu dans les universités américaines, une sorte de police dédiée aux espaces universitaires. C’est ainsi que le ministre va valider la création des polices universitaires chargée de faire régner une atmosphère non violente sur le campus.
Cette mesure est vue par la FESCI comme une entrave à ses projets. Soutenue dans l’ombre, elle va user de tous les moyens pour bouter cette police hors du campus de Cocody. La police nationale qui a voulu prendre la relève a subi une campagne médiatique sans précédent. Elle est accusée de violer la franchise universitaire. Pour notre souvenance, c’est en cette période que des structures telles que les Anciens de la FESCI (AFESCI) ont pris leur véritable envol.
Guillaume Soro n’hésitait pas à venir jouer au football avec les membres de la FESCI sur le campus. Tous les ministres qui se sont succéder à la tête du département ministériel ont tous subi un abattage médiatique des plus nauséabondes lorsqu’ils essayaient de faire intervenir les forces de l’ordre pour mettre fin à des violences. Désormais la FESCI a le suffrage de l’opinion publique nationale et internationale pour continuer à tisser sa toile vers le pouvoir.
Un fait, peut-être anodin, mais très significatif reste le refus de la FESCI de libérer les résidences universitaires qui devaient servir à loger les hôtes des jeux de la francophonie en2017, pour un petit temps. À la suite de ce refus, le Chef de l’État lui-même a dû prendre la parole pour rassurer l’opinion quant à sa volonté d’organiser les jeux sans gêner les étudiants. C’est ainsi qu’il a créé le ministère chargé de ces jeux. C’est tout cela l’héritage de Diawara.
7- LA STRATÉGIE DIAWARA FACE À UN HÉRITAGE POURRI
Quand Diawara prend les rênes du ministère en 2020 dans un contexte où ceux qui avançaient sous le manteau de la FESCI se croyaient à deux doigts d’accéder au pouvoir, la FESCI est déjà un monstre, c’est-à-dire assurée de son fort ancrage politique sur le territoire national et donc, n’est prête à se laisser intimider par qui que ce soit. Face à pareille réalité, a pu se demander Diawara, que faire ? Quelle stratégie adopter pour mener à bien la mission à lui confiée par le Chef de l’État ?
Premier acte fort, c’est de discuter avec tous les acteurs sans préjugés et travailler en technicien. Dans son ouvrage L’Aventure ambiguë, Cheikh Hamidou Kane écrivait : « Une plaie qu’on ne soigne pas s’infecte jusqu’à la gangrène ». Et c’est cela même la FESCI à son arrivée. Malgré son infection jusqu’à la gangrène, il faut lui administrer des soins, pensait-il, mais de manière douce. Combien de rencontres n’a-t-il pas eu avec cette organisation ?
Les choses étaient en train d’être maîtrisées. Mais, est-il encore besoin de rappeler que la mauvaise foi reste la chose la mieux partagée chez ceux qui pistonnent la FESCI ? Malgré la voie douce, toutefois qu’il y a eu des violences et que le ministre a fait intervenir la police, les mêmes qui critiquent aujourd’hui sont les premiers à parler de violation de franchise universitaire, de droit de l’homme et patati patata. D’autres sont allés jusqu’à dire que c’est Diawara le parrain de la FESCI. Soit. Mais on peut le constater, c’est pratiquement l’un des rares ministres qui n’a été candidat à aucun poste électif. Parce que dans un environnement d’étude où la politique méchante et violente s’est déportée, les bonnes intentions ne suffisent pas, il faut des actes, des sacrifices, du don de soi. C’était plus facile pourtant, pour un tel parrain de tirer les bénéfices politiques de ses actions de parrainage.
Quand les gens manquent d’arguments pour critiquer le gouvernement au regard de son brillant résultat au plan social et politique, ils s’en prennent à tout ce qui bouge. Les universités qui sortent de terre et les nouvelles constructions qui sont faites dans les anciennes ces dernières années, on refuse d’en parler. Près d’un tiers des bâtiments de l’université Alassane Ouattara a été construit ces deux dernières années.
Des efforts sont consentis au niveau de l’enveloppe de la bourse, on n’en parle pas. On peut être adversaire et puis demeurer honnête en appréciant et critiquer, mais de manière constructive. Le président Gbagbo, en son temps, venait sur le campus pour rencontrer la FESCI, le premier ministre Hamed Bakayoko a rencontré les étudiants représentés ce jour par la FESCI et autres.
D’accord pour une refonte de l’organisation au regard de ses dérives. Mais cela doit être compris que la FESCI n’est pas un instrument du ministre Diawara. Il ne l’a pas non plus laissé faire comme on veut le faire admettre. Il a seulement pensé qu’elle pouvait changer dans une démarche collaborative, parce qu’il ne faut pas l’oublier que parfois les problèmes qu’elle pose sont réels. Et, dans la mesure des possibilités des ressources de l’État, les réponses sont apportées ou projetées. L’accalmie de ces dernières années sur les espaces universitaires est le fruit du génie de Diawara, qu’on le veuille ou non. C’est pourquoi, il vaut mieux avoir tort avec Diawara que d’avoir raison avec ces abonnés aux grins, dôhi, et autres gbèrè qui eux, n’ont aucune action publique sur laquelle on peut porter un jugement.
YVAN TRO, LIBRE PENSEUR.