• Laurent a donné environ 2 milliards FCFA en 2002 pour la campagne de Chirac
• Chirac, Villepin et la France ont trahi Gbagbo
L’avocat Robert Bourgi a donné une interview au média France 24 dans le cadre de l’émission « En Tête à Tête ». Dans ces échanges, il parle surtout de la volonté farouche de l’ancien Président français Nicolas Sarkozy de porter coûte que coûte son ami Alassane Ouattara, designer vainqueur de l’élection présidentielle ivoirienne de 2010, même s’il fallait pour atteindre cet objectif éliminer physiquement Laurent Gbagbo qui ne voulait pas lâcher le pouvoir. L’avocat a surtout parlé de ce qu’il a dit dans son livre intitulé : « Ils savent que je sais tout » où il lève le voile sur les relations parfois « incestueuses » de Paris avec des « régimes amis » en Afrique.
Dans votre ouvrage, c’est surtout un récit du financement parti gaulliste et avant tout de Jacques Chirac. Un Jacques Chirac qui suite à son échec à l’élection présidentielle de 1981 vous contacte et vous dit qu’il est temps d’amorcer la pompe financière des chefs d’Etats africains. Est-ce que vous pouvez nous raconter ce qui s’est passé ?
J’étais conseiller politique du ministre et j’accompagnais Aurillac à Libreville, à Ouagadougou et autres et j’avais une audience privée avec le président que le ministre Michel Aurillac venait de quitter. Et je disait à Bongo que j’appelais « papa », Blaise c’était Blaise, Sassou ( N’guesso), c’était Dénis et je disais à ces chefs d’Etats que la campagne de 1992 arrive et il était bon qu’ils puissent contribuer au financement de leur ami Jacques ( Chirac)….
Ils disaient ‘´ Ok, on y va ´´ ?
Tout de suite.
C’est vous qui demandiez les sommes ou c’est eux qui décidaient ?
C’est eux qui décidaient. Mais ça ne descendait jamais en dessous d’un million de dollars (665 millions FCFA). Jamais, jamais.
Comment ça se passait. C’est vous qui rameniez l’argent…c’est surréaliste…
Non, non, non. Je rentrais sur Paris et le chef d’Etat m’appelait et il me disait je t’envoie M. X, prends rendez-vous avec avec Jacques. Pour Bongo, c’était Davin, c’était le mot de code pour désigner Chirac. Pour Sassou, c’était Jacques. Je prenais attache avec M. Chirac et je lui disais qu’il y avait un émissaire qui arrive tel jour à telle heure.
Et vous étiez là pour la remise des fonds ?
Toujours, toujours, toujours, toujours. C’est comme ça que ça se passait.
En toute illégalité…
Ce n’est plus mon problème. Le président de la République française me demande des choses, j’exécute. Le président d’un État africain envoie son émissaire, moi je ne suis en rien la dedans.
Vous ne vous êtes jamais servi au passage ?
Jamais, c’est mal me connaître.
1995, vous dites aussi là qu’il y avait des contributions, Bongo, Sassou, Compaoré (Blaise), le maréchal Moboutou . C’est le même mécanisme et vous dites qu’en 1995 pour la campagne c’était au moins 10 millions de dollars (6,5 milliards FCFA).
C’est exactement cela
Et vous dites en 2002, parmi les nouveaux donateurs, vous parlez de Abdoulaye Wade le président sénégalais et de Laurent Gbagbo, beaucoup plus étonnant, président de gauche. Il a avoué à sa sortie de prison à La Haye que vous et Dominique De Villepin, vous l’avez fait cracher au bassinet.
Voici comment ça s’est passé. Laurent Gbagbo voulait s’attirer les bonnes grâces de la France. Je lui ai dit tu sais Laurent, je vais être franc avec toi. Il va falloir que tu puisses contribuer et faire un geste pour Chirac. Et j’organise un déjeuner au restaurant ‘´ La Pérouz’’. Il y avait Gbagbo, Villepin et moi-même. Et là, je dis à De Villepin, ‘’ Dominique, comme vous me l’avez demandé, je vais demandé à Gbagbo devant vous d’aider le président de la République (Chirac)’´. Et j’ai demandé à Gbagbo : ‘ ´ Lauren, voilà, je le dis devant Dominique, il va falloir que tu puisses aider à l’élection présidentielle de 2002´´. Et il répond : ´´ je suis un socialiste, je suis un ami de Jospin. Mais j’aiderai à j’ai de 3 millions de dollars ( environ 2 milliards FCFA) M. Chirac. Ce qu’il a fait.
Est-ce que vous considérez qu’il a été trahi par Chirac, De Villepin et la France ?
M. Perellman, vous m’offrez là, l’opportunité de laver ma conscience. J’étais l’acteur et le témoin de toutes les relations entre la France et la Côte d’Ivoire en ces heures troubles et difficiles. J’ai vu que Jacques Chirac et De Villepin ont été d’une ingratitude à nul autre pareille et quand Laurent (Gbagbo) est tombé, qu’il a été conduit à LaHaye, j’en ai beaucoup souffert personnellement et dans ma famille. J’en ai souffert terriblement.
Vous vous sentiez coupable ?
Comment vous dire, je me suis senti complice d’une trahison. Mais, les derniers moments de la présidence de Gbagbo, je les ai vécus avec Nicolas Sarkozy. Et là, les choses se sont compliquées. Les élections sont là, et Laurent avait gagné les élections. Nous savions qu’il les avait gagnées comme Jean Ping les avait gagnées en 2016 au Gabon.
Ce n’est pas Ouattara qui les avait gagnées ?
Pas Ouattara. Le Conseil Constitutionnel a dit que c’était Laurent le vainqueur et Sarkozy le fait venir à L’Elysée et le dit, il va falloir que tu appelles ton ami Gbagbo et tu lui dises d’accepter de partir. Il aura un statut d’ancien chef d’Etat, 30 millions FCFA, voiture, escorte et tout. Et s’il veut, comme il est professeur d’histoire. On lui trouvera une chaire il pourra se déplacer à travers le monde. Il (Sarkozy) me dit d’aller dans le bureau de Claude Guéant pour appeler Gbagbo. J’ai appeler Gbagbo, (…), je lui ai dit que je te passe un message du président Sarkozy : il te demande ceci, cela…Gbagbo me répond : ‘´ dit à ton ami Sarkozy, que je serai son Mougabé. Bob (Robert Bourgi), je t’ai assez entendu’ˆ, et il a raccroché. Et je suis allé dire à Sarkozy ce qui s’est passé. Sarkozy a bondi de son fauteuil et a crié « puisque c’est ça, je vais (Gbagbo) le vitrifier.
J’ai dit à Sarkozy, que le Conseil Constitutionnel avait déclaré Gbagbo vainqueur. Sarkozy m’a répondu qu’il allait vitrifier Gbagbo. Il a dit qu’il avait un mandat pour cela et le surlendemain, Laurent était tombé.
Propos recueillis par Olivier Guédé
Photo légendée : Robert Bourgi.