Le 13 septembre 2024, la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP), sous la signature du magistrat hors hiérarchie, par ailleurs directeur de cette institution, Célestin Douheuly Kamindaté, publie un communiqué controversé. Celui-ci s’attaque aux chiffres avancés par le Conseil National des Droits de l’Homme (CNDH) dans son rapport de juin 2024 sur l’évaluation de la situation des détenus en attente de jugement. La DAP remet en cause les conclusions du CNDH, et tente de minimiser la réalité des conditions carcérales en Côte d’Ivoire.
Pourtant, en vertu de la loi n° 2018-900 du 30 novembre 2018, le CNDH dispose du droit d’effectuer des visites inopinées dans les 35 pôles pénitentiaires du pays. De plus, ces visites s’effectuent en collaboration avec les autorités pénitentiaires sur instruction la Direction de l’administration pénitentiaire. Un directeur de pôle pénitentiaire confirme, sous couvert d’anonymat, la coopération étroite entre les enquêteurs du CNDH et les directeurs de prison : « Nous renseignons des formulaires que nous remettent les enquêteurs du CNDH. Ce n’est pas un travail isolé, j’ai été surpris par le communiqué de la DAP. »
‘’La démarche de la DAP, loin d’apporter des solutions aux problèmes carcéraux, semble plutôt chercher à camoufler la réalité.’’
Malgré ce témoignage accablant, la DAP persiste à discréditer les chiffres du CNDH. En effet, le nombre de détenus en attente de jugement serait de 9 870, un chiffre nettement inférieur aux 12 056 recensés par le CNDH au 12 juin 2024, soit 51,27 % de la population carcérale totale. L’étude du CNDH inclut les détenus en attente d’un premier jugement, ceux ayant fait appel, ainsi que ceux en pourvoi en cassation.
En accusant le CNDH de diffuser des chiffres inexacts, la DAP semble jouer sur un discours trompeur. Le CNDH, tout comme les ONG qui travaillent sur ces sujets, reconnaissent une marge d’erreur possible dans ses données, mais affirment que celle-ci est bien inférieure à la différence avancée par la DAP. Si les chiffres de la DAP sont exacts, cela supposerait une grave discordance entre les données des établissements pénitentiaires et la réalité.
Le CNDH ne s’immisce pas dans les procédures judiciaires pour manipuler les registres des cabinets d’instruction ou des prisons. La véritable problématique reste la coordination entre les différents acteurs et l’insuffisance des magistrats. Conséquence : augmentation du nombre de détenus en attente de jugement.
‘’Des sources pénitentiaires révèlent une situation plus préoccupante encore : l’absence d’audiences criminelles depuis plus d’un an.’’
Le communiqué de la DAP ignore également les tendances historiques. Selon l’« Annuaire des statistiques judiciaires et pénitentiaires de l’année judiciaire 2021-2022 », le nombre de détenus préventifs a augmenté régulièrement, passant de 5 469 en 2017 à 8 191 en 2022. Les enquêtes du CNDH pour 2023 et le début de 2024 ont respectivement révélé 8 953 et 9 127 prévenus. À ce jour, ces chiffres n’avaient jamais été contestés par le ministère ivoirien de la Justice.
Des sources pénitentiaires révèlent une situation plus préoccupante encore : l’absence d’audiences criminelles depuis plus d’un an. Cela prolonge l’incarcération de nombreux détenus pour faits criminels, en violation des Règles Nelson Mandela.
Ainsi, la démarche de la DAP, loin d’apporter des solutions aux problèmes carcéraux, semble plutôt chercher à camoufler la réalité. Or, la mission du CNDH est de mettre en lumière les conditions de détention afin d’inviter le ministère à collaborer pour trouver des solutions. Le communiqué de la DAP apparaît dès lors comme une tentative de diversion, masquant une réalité préoccupante : la situation alarmante des détenus en attente de jugement en Côte d’Ivoire.
Il est impératif de mettre fin à ces manipulations et de prendre des mesures concrètes pour améliorer les conditions carcérales, au lieu de se perdre dans des polémiques et des communications inappropriées.
Sériba Koné